Fran, un TDAH issu d’une famille neurodivergente

Pour ce premier échange de la série « Montrer l’invisible », j’ai eu la chance de passer un moment avec Fran qui a gentiment accepté de me servir de cobaye. J’ai rencontré Fran sur Twitter au moment où j’ai commencé à parler de mon parcours sur le réseau à l’oiseau bleu. Il est un de mes tout premiers abonnés, et un de mes tout premiers abonnements.
À cause de problèmes techniques, je n’ai malheureusement pas pu enregistrer l’échange, et la retranscription se fait, cette fois-ci, à partir d’une prise de notes et de ma mémoire. Vous verrez que l’échange a été intense, mais fidèle à ce que nous sommes : deux TDAH qui discutent.


Salut, merci d’avoir accepté de venir passer un moment à échanger avec moi. Est-ce que je pourrais te demander de te présenter pour commencer ?
Salut, je suis Fran. Je suis un homme de 44 ans, marié et papa. Je vis à Amiens j’ai 44 ans et suis ingénieur dans l’IT 1.

As-tu des loisirs, des passions ? Lesquels, lesquelles ?
Oh oui, j’en ai. Beaucoup trop pour pouvoir en faire une liste !

Qu’as-tu envie de partager aujourd’hui, en venant témoigner ?
J’aimerais parler de mon expérience sur les coping mechanisms et le monde professionnel.

Cool ! Sujet intéressant ! Mais d’abord, peux-tu préciser de quel(s) trouble(s) tu souffres ?
Je suis diagnostiqué TDAH avec une hyperactivité très marquée depuis toujours. Je souffre également d’un syndrome de stress post-traumatique et d’une anxiété réactionnelle comme conséquence d’un burn-out.

Tu peux nous en dire davantage sur ton diagnostic TDAH pour commencer, et ton parcours pour y parvenir ?
J’ai grandi au Chili, avec des racines hispano-française et hispano-britanniques.
À l’école, je suis arrivé en CP en sachant lire et écrire. Puis l’année suivante, en CE1, j’ai connu une grosse régression, et j’ai complètement oublié comment lire ou écrire. J’ai alors passé un test de QI. Le spécialiste a aussi parlé de dépression, sujet que l’on commençait à aborder pour les enfants à cette époque.
J’étais également quelqu’un de très impulsif. Je le suis toujours, bien sûr, mais j’ai appris à m’en accommoder. Je n’avais aucune notion du risque, et me suis fait de nombreuses blessures et fracturé des os. J’avais une sorte de réacteur nucléaire impossible à éteindre. Je finissais par m’endormir uniquement par épuisement.
Par chance, mon parrain était neurologue et, à l’âge de 9 ans, il a suggéré qu’il pourrait être intéressant de passer des tests concernant mes difficultés et mon comportement. C’est là que le premier diagnostic de TDAH a été posé. Je n’ai pas eu de traitement, mais le psy (toujours au Chili) a demandé à ce que l’évolution de mon comportement soit surveillé.
Note : C’est d’ailleurs à ce moment qu’entre TDAH que nous sommes, nous avons passé un long moment à discuter des différences linguistique concernant l’espagnol en Amérique Centrale, ainsi que l’histoire de la colonisation de cette région et de l’évolution de la langue au fil du temps
Il y a ensuite eu un second diagnostic à 12 ans, qui a confirmé un TDAH très net. J’ai alors commencé à prendre de la Ritaline, pendant une dizaine d’années.
Après ce diagnostic, j’ai dû faire face aux croyances des différents professionnels de santé. Existence du TDAH ou non ? J’ai également passé deux tests de QI dont, pour différentes raisons, je n’ai jamais pu avoir les résultats. Je ne leur accorde d’ailleurs pas tellement d’importance, mais ça aurait pu me permettre de savoir comment réagir face à certaines situations difficiles. Soit c’est dû à un QI élevé et je peux creuser et analyser, soit je suis juste complètement con (je ne suis pas fier de mon choix lexical) et je me fais une raison.

Tu as parlé de régression au CE1 concernant la lecture et l’écriture. Est-ce que vous avez pu savoir pourquoi ?
Oui. Je n’ai pas régressé en réalité. C’est simplement que la graphie de l’institutrice que j’ai eue cette année-là ne me convenait pas, alors j’ai fait comme un blocage. Voilà encore un exemple qui montre que je suis quelqu’un de très intense.

Effectivement, on voit là une sensibilité et une intensité certaines ! Tu as pris de la Ritaline pendant 10 ans. Pourquoi as-tu arrêté le traitement ?
J’étais encore au Chili, et j’ai arrêté sur un coup de tête. Pour voir. J’avais déjà fait des périodes sans Ritaline pour évaluer mon rendement scolaire. J’ai terminé mes études et je suis arrivé en France. C’est là qu’a commencé le parcours du combattant pour reprendre de la Ritaline alors que j’en ai pris pendant des années, et que le diagnostic avait déjà été posé. Ce parcours a duré plusieurs années après une pause d’environ 10 ans, et ça ne fait que quelques mois que je reprends du méthylphénidate.

Et aujourd’hui, le méthylphénidate t’apporte autant que quand tu étais gamin ?
Il m’aide encore beaucoup quand j’en ressens les effets. Par contre les retombées me semblent beaucoup plus intenses et violentes. Les choses que je ne supporte pas représentent des agressions plus difficiles à gérer.

Quelles ont été les conséquences de ce trouble aux différentes étapes de ta vie ?
Enfant, j’avais beaucoup de difficultés avec les intéractions sociales. Ado, c’étaient plutôt des problèmes d’impulsivité, de colère, des excès d’activité pour combler mon hyperactivité, et j’étais un mauvais élève. Adulte, je suis quelqu’un de désorganisé qui a beaucoup de mal avec la gestion d’un budget et des responsabilités «d’adulte ». Je me suis aussi rendu compte qu’avec le temps, j’ai plutôt tendance à sociabiliser avec des personnes neuroatypiques qu’avec des neurotypiques. Des gens comme moi, quoi.

Justement, qu’as-tu mis en place en face de tout ça, pour t’aider toi-même à mieux supporter tous ces désagréments ?
J’ai développé une obésité intellectuelle et physique. J’ai besoin de faire travailler mon cerveau, et de me dépenser physiquement.
J’ai aussi flirté avec les drogues et l’alcool à certaines périodes de ma vie.

Ça me rappelle quelqu’un… Et pour contrer aujourd’hui les effets de ton TDAH, tu as mis des stratégies en place ? Ce que tu appelles les « coping mechanisms » ?
J’essaie de vivre à horaires fixes toute la semaine. Je me lève et me couche toujours à la même heure, chaque jour de la semaine. Je sais comme ça à quelle heure quelle galère va me tomber dessus lorsque les effets de la Ritaline retombent. Ça me permet d’avoir des repères dans le temps, mais c’est issu d’une imitation de ma famille.
J’ai également des difficultés avec la persistance des objets dans l’espace. Si je ne les vois pas, ils n’existent pas. C’est pour cette raison que tout est organisé et étiqueté. Chaque objet a un emplacement, même si c’est le bordel. Je sais que sur cette étagère j’ai mes fournitures du bureau, sur une autre tout ce qui est en lien avec l’impression 3D. J’ai des tiroirs transparents pour pouvoir en voir le contenu d’un simple coup d’oeil, et j’ai tout ce dont j’ai besoin pour travailler en bordel sur mon bureau. À portée de main, mais en bordel.
J’ai aussi automatisé beaucoup de choses si elles pouvaient l’être : les courses avec le drive, les achats récurrents qui sont automatisés, et les commerces de proximité me connaissent. Par exemple mon épicier habituel sait que j’ai tendance à oublier, et c’est lui qui va me demander si je n’ai pas oublié d’acheter un produit en particulier, que ce soit du lait ou des couches quand ma fille était petite. Aussi, ma pharmacie habituelle et mon médecin me connaissent depuis longtemps. Ils savent tous les deux que j’oublie souvent, ils me notent donc les dates auxquelles je dois reprendre mes rendez-vous ou repasser à la pharmacie, étant donné les régulations en place pour le méthylphénidate en France.

Tu parles d’imitation de ta famille, tu veux bien développer un peu ?
Nous sommes une grande fratrie, et nous sommes trois à avoir été diagnostiqués jeunes. Je suis TDAH, mon frère a un TSA, tout comme ma sœur. Ma mère a commencé et poursuivi son bilan neuropsy après ses 60 ans sur une suspicion de TSA et mon père, qui trouvait souvent les autres trop cons et manipulait les chiffres avec une facilité qui sortait de l’ordinaire, n’a jamais été diagnostiqué, ou nous ne l’avons pas su, mais il devait avoir quelque chose de l’ordre du TSA et du HPI. J’ai donc grandi dans une famille de neuroatypiques, essentiellement TSA.
D’ailleurs, ma sœur est prof et spécialisée dans les diagnostics précoces. En grandissant, nous avons réalisé qu’il y avait un truc avec nos parents, et qu’on était pas comme les autres familles. J’aime en rire, et c’est devenu une blague que je fais souvent, mais j’ai été socialisé par une autiste.
Autre chose d’intéressant dans tout ça, c’est que la grosse différence entre un TSA et un TDAH, c’est que le TSA a des intérêts restreints et qui durent dans le temps, alors que le TDAH peut s’intéresser à tout sur une durée très courte et de façon très intense. Au moins de ce que j’ai vécu.

Ça devait mettre de l’ambiance chez toi ! Et maintenant que tu es adulte, où en es-tu ? Tu parlais aussi de SSPT et d’anxiété réactionnelle. Comment gères-tu cela aujourd’hui ?
Oui, on avait peu de temps pour s’ennuyer ! Pour le SSPT, j’ai fait un gros burn-out il y a quelques années, et ai traversé une période sombre. J’ai travaillé avec un psychiatre spécialisé. J’ai commencé à prendre des anxiolytiques parce que je faisais des crises de panique. Au fil de mon suivi, j’ai appris que je faisais des crises intenses depuis mon adolescence mais qu’elles n’étaient pas perçues, ni par moi ni par mon entourage. J’ai découvert ça à 35 ans !

Et aujourd’hui ? Comment tu vis et gères tout ça, avec le recul ?
Comme je le disais tout à l’heure, j’ai ritualisé beaucoup de choses en ayant grandi au milieu de TSA. Dès que je dévie de mes rituels, ça montre que quelque chose va mal, et que je le vis mal. Je sais que je dois retourner voir mon psychiatre ou au moins demander de l’aide.
J’ai aussi appris à ne pas avoir honte, à assumer mon trouble, le fait de ne pas être capable de respecter les délais, et tout ce que ça peut impliquer. Je suis ainsi, je n’ai pas choisi, je ne suis pas juste un incapable ou quelqu’un d’irrespectueux.

Et qu’aimerais-tu vois changer dans ton quotidien pour mieux vivre avec ce handicap ?
C’est surtout au niveau professionnel que j’aimerais pouvoir en parler, et bénéficier d’aménagements qui sont compatibles avec mon TDAH, comme des réunions plutôt courtes, des horaires souples, des équipes de petite taille, etc. Je ne demande pas à ne plus faire mon travail, mais plutôt à adapter les conditions pour mieux le faire, et dans de meilleures conditions.

Un mot pour finir ?
Il faut parler, faire des troubles neuropsychologiques un sujet accessible, le rendre visible, vulgariser, être à l’écoute des autres, et surtout le normaliser. Ce n’est pas une honte, ce n’est pas une maladie, c’est juste un fonctionnement particulier auquel la société n’est pas adaptée, et dont elle ignore beaucoup trop de choses.

1. [Information Technology, ou en français Technologie de l’Information]


Merci beaucoup à Fran pour cet échange très riche, que nous n’avons malheureusement pas pu enregistrer. Mais nous le ferons une prochaine fois, peut-être sur un sujet sensiblement différent, ou sur le sujet que nous avions prévu au départ !
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